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georges sorel - Page 2

  • Hormonal, moral, commercial : le phénomène "trans"...

    Dans cette émission du Plus d’Éléments, diffusée par TV Libertés, l'équipe du magazine, autour d'Olivier François, à l’occasion de la sortie du nouveau numéro, s’intéresse au phénomène trans (transgenre) : il est hormonal, moral, commercial (c’est aussi un marché). En dix ans à peine, les trans sont devenus omniprésents, omnivisibles, omnipuissants, à telle enseigne qu’ils ont vampirisé le "L", le "G", le "B" de LGBT. L’équipe d’Éléments a enquêté.

    Au menu également, la présentation du livre de Rodolphe Cart : "Georges Sorel - Le révolutionnaire conservateur" aux éditions de La Nouvelle Librairie.

    On trouvera sur le plateau François Bousquet, rédacteur en chef, Patrick Lusinchi, directeur artistique, Daoud Boughezala et Rodolphe Cart...

     

                                            

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  • L’avenir de la violence...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist au site 42 Mag pour répondre à des questions sur l'Europe, la mondialisation ou la violence...

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021) ou, dernièrement, L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022) et Nous et les autres (Rocher, 2023).

     

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    L’avenir de la violence ; entretien avec Alain de Benoist

    42MAG : L’Europe a toujours occupé une position phare dans votre pensée. Comment la définiriez-vous ?

    ALAIN DE BENOIST. Comme un continent, une origine, un creuset de culture et de civilisation, une série de paysages qui m’appartiennent et auxquels j’appartiens. Une histoire complexe qui, à partir de racines remontant pour le moins au Paléolithique, n’a cessé d’évoluer et de s’enrichir d’éléments nouveaux. Un continent dont les géopoliticiens font le centre du monde. Et aussi le lieu de naissance de la philosophie, ce qui compte beaucoup pour moi.

    42MAG : Aujourd’hui, n’est-elle pas le joug sous lequel ploient les peuples ?

    ALAIN DE BENOIST. Vous confondez l’Europe et l’Union européenne. Telle qu’elle a été mise en œuvre par ses initiateurs et poursuivie par leurs successeurs, la construction européenne s’est faite dès le début en dépit du bon sens. Elle est partie de l’économie et du commerce, au lieu de se faire à partir de la politique et de la culture. Elle s’est opérée par le haut, sous la férule d’une instance technocratique acquise au centralisme jacobin et au principe d’omnicompétence, la Commission de Bruxelles, au lieu de se mettre en place par le bas, en respectant le principe de subsidiarité ou de compétence suffisante à tous les niveaux, du plus local au plus général. Elle s’est faite en dehors des peuples, sans que ceux-ci soient jamais sérieusement consultés sur sa raison d’être ou sur son mode de fonctionnement. Après la chute du système soviétique, au lieu de chercher à approfondir ses structures de décision politique, elle a choisi un élargissement hâtif à des pays qui ne cherchaient qu’à bénéficier de la protection américaine, ce qui a aggravé son impuissance et paralysé ses institutions. Le problème de ses finalités – Europe-puissance ou Europe-marché – et le problème de ses frontières – géopolitiques – n’ont jamais été clairement posés non plus. La mise en place de l’euro dans des conditions totalement irréalistes a de son côté aggravé l’endettement public, dans le contexte de crise financière mondiale que nous connaissons aujourd’hui. Le résultat est que l’« Europe », qui apparaissait naguère comme une solution, n’est plus aujourd’hui qu’un problème parmi d’autres. Loin d’être une puissance autonome, l’Europe actuelle est politiquement dépendante, financièrement victime des marchés financiers, économiquement mise en concurrence dans des conditions de dumping avec la main-d’œuvre sous-payée des pays tiers, socialement en proie à des programmes d’austérité insupportables, bref affaiblie à tous égards. Non seulement l’Union européenne n’est pas l’Europe, mais aujourd’hui elle travaille clairement contre les Européens.

    42MAG : L’Europe a-t-elle jamais été démocratique ? N’est-elle pas le legs des élites aristocratiques aux élites bourgeoises libérales ?

    ALAIN DE BENOIST. Dans l’histoire de l’Europe, la plupart des régimes ont été des régimes mixtes. Des éléments de démocratie y ont toujours été présents, même là où le pouvoir appartenait à des oligarchies. Cela dit, il faut évidemment nuancer selon les époques et les lieux : la démocratie grecque n’est pas la démocratie islandaise du Moyen Âge ; la cité-État n’a pas fonctionné de la même manière que l’État-nation, qui n’a pas fonctionné lui-même à la façon de l’Empire. Quant au remplacement des élites aristocratiques par des élites bourgeoises, il commence très tôt sous l’Ancien Régime, tout particulièrement en France.

    À la faveur de la crise actuelle, ne s’aperçoit-on pas que c’est toujours la même ligne de clivage, le « limes » romain, qui sépare l’Europe en deux mondes (romanisés/barbares, Réforme/Contre-Réforme, etc.) ?

    Il y a bien sûr un clivage Nord-Sud, qui a pris dans l’histoire diverses formes politiques ou religieuses. Mais on ne peut pas tout ramener à la confrontation du monde latin et du monde celto-germanique. La Grèce, pour ne citer qu’elle, appartient tout autant à l’Europe « orientale » orthodoxe qu’au monde méditerranéen.

    42MAG : Qu’est-ce que cela vous évoque, le fait que l’Europe puisse imploser par la Grèce ?

    ALAIN DE BENOIST. C’est évidemment un symbole. D’une certaine manière, on pourrait dire que l’Europe est née en Grèce et que c’est également là qu’elle est en train de mourir. J’ai moi-même écrit souvent qu’on meurt de ce qui vous a fait naître. Mais encore une fois, l’Union européenne n’est pas l’Europe. La première doit disparaître, dans sa forme institutionnelle actuelle, pour permettre à la seconde d’émerger à nouveau. La crise grecque peut aussi être un point de départ, l’occasion d’un nouveau commencement.

    42MAG : Dans les années 1980, vous avez publié un livre intitulé Europe, Tiers-monde, même combat. Il était sous-titré « Décoloniser jusqu’au bout ». Pouvez-vous nous rappeler la thèse qu’il défend ?

    ALAIN DE BENOIST. C’est un livre qui a été publié à l’époque de la guerre froide, lorsque le Nomos de la Terre s’identifiait au duopole américano-soviétique. L’idée générale que j’y développais était que la vocation naturelle de l’Europe n’était pas de s’identifier ou de s’aligner sur l’une des deux grandes puissances, mais de rechercher une tierce voie en collaboration avec des pays qu’à cette époque on ne qualifiait pas encore, d’« émergents ». La dette du Tiers-monde, fruit de l’idéologie du « développement », elle-même fondée sur l’ethnocentrisme occidental, l’idéologie du progrès et l’application du principe de Ricardo (la théorie dite des avantages comparatifs, qui pousse un pays à se spécialiser outrageusement et à privilégier ses exportations aux dépens de ses cultures vivrières et de son marché intérieur), y faisait l’objet d’une analyse qui pourrait aussi bien être appliquée aujourd’hui à bien des pays occidentaux.

    42MAG : Peut-on lutter contre la mondialisation ?

    ALAIN DE BENOIST. La mondialisation (ou globalisation) est un fait acquis, mais on ne peut l’analyser et la comprendre qu’en tenant compte de son caractère éminemment dialectique. La mondialisation unifie en même temps qu’elle divise. Elle pousse à l’homogénéisation planétaire mais, par ce fait même, provoque en retour des fragmentations nouvelles. D’autre part, la mondialisation ne veut pas dire grand-chose aussi longtemps qu’on n’en a pas déterminé le contenu actuel et les autres contenus possibles. Aujourd’hui, la mondialisation est avant tout technologique et financière. De ce point de vue, le slogan : « Mondialisez-vous ou il vous en coûtera cher ! » n’est qu’un mot d’ordre terroriste. Toute la question est de savoir si la globalisation débouchera sur un monde unipolaire, inévitablement contrôlé par la principale puissance dominante que restent encore aujourd’hui les États-Unis d’Amérique, ou sur un monde multipolaire, où les grands ensembles de puissance et de civilisation pourront jouer un rôle de régulation dans le processus de mondialisation en cours. C’est évidemment vers un monde multipolaire (un pluriversum, non un universum) que vont mes vœux. Cette alternative conditionne l’avènement d’un nouveau Nomos de la Terre. Elle détermine aussi un clivage d’opinion beaucoup plus important que l’obsolète clivage droite-gauche.

    42MAG : Qu’évoque pour vous le mot « universalisme » ? Le paganisme est-il une alternative ?

    ALAIN DE BENOIST. Je définis l’universalisme comme une corruption de l’universel. Vous connaissez cette belle formule de l’écrivain portugais Miguel Torga : « L’universel, c’est le local moins les murs. » La singularité est un mode de médiation vers l’universel. L’universalisme consiste à statuer a priori sur la nature de toute réalité particulière, tandis que l’universel part de cette réalité pour s’épanouir et acquérir une portée plus générale. C’est en s’affirmant profondément espagnol, allemand ou anglais, que Cervantès, Goethe ou Shakespeare prennent une dimension universelle. L’universel, pour le dire autrement, ne s’atteint pas par la négation ou le dépérissement des particularités, mais par leur approfondissement. L’universalisme nie l’altérité, il ignore l’Autre en tant qu’Autre. Il considère que les hommes sont en tous temps et en tous lieux les mêmes, et que ce qui vaut pour les uns vaut nécessairement pour les autres. Cette croyance a servi de fondement à l’impérialisme occidental, et on la retrouve aussi au fondement du racisme. Le paganisme est assurément une alternative, d’un point de vue intellectuel et spirituel, puisqu’il se tient par définition à l’écart de l’Unique. Affirmer qu’il y a plusieurs dieux conduit à n’en rejeter aucun. Le « polythéisme des valeurs » (Max Weber) est un principe de tolérance, en même temps qu’une manière de respecter ce qui fait la richesse du monde, à savoir sa diversité.

    42MAG : Il semble que, de la démocratie représentative, il ne reste plus que la représentation. Les représentants sont parfois ouvertement méfiants envers le suffrage populaire. Comment les peuples peuvent-ils reprendre le pouvoir ?

    ALAIN DE BENOIST. Carl Schmitt disait que plus une démocratie est représentative, moins elle est démocratique. C’était aussi l’opinion de Rousseau : lorsque le peuple délègue à des représentants le soin de parler en son nom, il ne peut plus être présent à lui-même. Ce qui fonde la légitimité de la démocratie, à savoir la souveraineté populaire, implique la possibilité donnée à tous les citoyens de participer aux affaires publiques, c’est-à-dire de décider le plus possible par eux-mêmes de ce qui les concerne. La vraie démocratie est donc avant tout une démocratie participative. La crise actuelle de la représentation tient au fait que les citoyens constatent en permanence qu’ils ne sont même plus représentés. La Nouvelle Classe dirigeante redoute de son côté que les classes populaires ne veuillent pas aller dans la direction qu’elle leur assigne. L’idéologie dominante, enfin, place la souveraineté populaire sous conditions : une décision adoptée démocratiquement n’est plus acceptée aujourd’hui que pour autant qu’elle ne contredise pas l’idéologie des droits de l’homme. Un fossé s’est ainsi creusé entre le peuples et les élites. « Reprendre le pouvoir », cela signifie d’abord comprendre que, dans l’espace public, l’individu ne doit pas s’affirmer comme consommateur, mais comme citoyen. Cela signifie ensuite chercher à mettre en place, et d’abord localement, une démocratie de base suffisamment forte pour résister aux injonctions qui viennent d’en haut.

    42MAG : On assiste à des scènes quasi insurrectionnelles en Grèce. La violence est-elle une solution pour les peuples ?

    ALAIN DE BENOIST. Des scènes quasi-insurrectionnelles ? On n’en est pas encore là, malheureusement peut-être. Pour l’instant, ce que l’on voit le plus en Grèce, c’est la misère, le désespoir et bon nombre de suicides. La violence est la solution lorsqu’il n’y en a plus d’autres. On dit souvent que l’État moderne a le monopole de la violence légitime, mais en réalité il n’a que le monopole de la violence légale. Or, légalité et légitimité ne vont pas forcément de pair, sans quoi l’on ne pourrait dire d’une loi qu’elle est injuste.

    42MAG : La décrédibilisation de la violence comme mode d’expression de soi n’est-elle pas l’une des causes de la perte de pouvoir du peuple ? Les dirigeants ne doivent-ils pas avoir un peu peur du peuple pour garder en tête ses intérêts ?

    ALAIN DE BENOIST. Toute société implique un minimum de concorde entre les citoyens. Il s’en déduit que, si violence est parfois légitime, elle ne saurait constituer un « mode d’expression de soi » permanent. Les dirigeants, d’autre part, ne doivent certes pas être préservés de la colère du peuple, mais il y a des institutions qui les obligent plus que d’autres à tenir compte de ses réactions éventuelles. Je pense par exemple au mandat impératif. En cas de conflit, en tout cas, c’est au peuple d’imposer sa loi par tous les moyens qui peuvent le lui permettre.

    42MAG : La violence est-elle un mal en soi ?

    ALAIN DE BENOIST. Je ne sais pas très bien ce qu’est un « mal en soi » rapporté aux affaires humaines. En matière politique et sociale, le bien et le mal sont rarement absolus. Beaucoup de choses dépendent des circonstances. C’est en recourant à la violence que nombre d’anciennes colonies ont recouvré leur indépendance. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Résistance avait elle aussi recours à des moyens violents pour lutter contre l’occupant. Face à la violence d’État, qui peut aussi être une violence impersonnelle ou structurelle (la violence n’implique pas nécessairement la mise en œuvre de moyens violents), le recours à la violence est souvent la seule arme dont disposent ceux qui sont injustement dominés. Mais la violence n’est pas toujours légitime. Dans ses Réflexions sur la violence (1908), Georges Sorel fait l’apologie de la « violence prolétarienne », mais prend soin de la distinguer de la Terreur. La violence ne doit pas non plus être confondue avec la force. Lorsque l’on dit que la force précède le droit, on ne plaide pas pour la « raison du plus fort ». On dit seulement que le droit est impuissant sans la force nécessaire pour garantir son application.

    42MAG : Sommes-nous une société pacifiée, une société de lâches, ou les deux ?

    ALAIN DE BENOIST. La société dans laquelle nous vivons n’est pacifiée qu’en apparence. Derrière le « cercle de raison » cimenté par la pensée unique, elle est au contraire traversée de contradictions profondes qui, à la faveur d’une crise généralisée, éclateront avec d’autant plus de force qu’on aura longtemps tenté de les dissimuler. « Société de lâches » est peut-être excessif. Là encore, ce sont souvent les conjonctures, les circonstances, qui révèlent d’un côté les lâches et de l’autre les courageux. Si nous sommes aujourd’hui dans une « société de basses eaux », comme disait Castoriadis, c’est aussi que nous sommes dans une époque de transition, un Zwischenzeit (en Français, un « intermède » Ndlr). Nous voyons s’effacer un monde qui nous fut familier, mais nous ne percevons pas encore pleinement les enjeux du futur. Plutôt que de lâcheté, je serais tenté de parler de déperdition d’énergie. Amnésiques et culpabilisées, les sociétés européennes actuelles sont comme vidées de leur énergie. À cette fatigue historique s’ajoutent les effets de la « distraction » au sens pascalien du terme, c’est-à-dire les effets de l’industrie du divertissement.

    42MAG : Un petit recueil de Kantorowicz s’intitule Mourir pour la patrie. Y a-t-il quelque chose qui justifie de se sacrifier aujourd’hui ?

    ALAIN DE BENOIST. Il y a toujours quelque chose qui vaut qu’on se sacrifie pour elle, mais cette chose n’est pas forcément perçue dans la claire conscience. Disons qu’il vaut toujours la peine de se sacrifier pour quelque chose qui nous dépasse. La question est de savoir si nos contemporains estiment qu’il y a quelque chose qui excède leur existence individuelle et leurs désirs immédiats ou s’ils jugent que, par définition, rien n’est pire que la mort. Un peuple qui pense que rien n’est pire que la mort est mûr pour la servitude. Le problème est que la notion même de don de soi va totalement à l’encontre d’un climat général dominé par l’utilitarisme, la raison marchande et l’axiomatique de l’intérêt. Anthropologiquement parlant, l’idéologie dominante fait de l’homme un producteur-consommateur uniquement désireux de maximiser son meilleur intérêt. Dans une telle perspective, tout ce qui n’est pas calculable est considéré comme dénué d’intérêt, toutes les valeurs sont rabattues sur la valeur d’échange, et la gratuité ne correspond plus à rien. Réaliser ce pour quoi il vaut la peine de se sacrifier implique une véritable décolonisation de l’imaginaire symbolique.

    42MAG : Georges Sorel, dans ses Réflexions sur la violence, décrit une élite bourgeoise peureuse, qui cède au moindre froncement de sourcil populaire. Est-ce encore vrai ? Et si oui, qu’est-ce qui fait que les peuples soient si sages, finalement ?

    ALAIN DE BENOIST. Je n’ai pas l’impression que Sorel décrive une bourgeoisie si craintive. Il la décrit plutôt comme prête à tout, y compris à la guerre, pour défendre ses intérêts. Il n’en est pas moins vrai que les élites redoutent le peuple, et qu’on peut s’étonner de voir ce dernier accepter si facilement de vivre dans les conditions qui sont les siennes aujourd’hui. La raison principale en est la relative abondance matérielle que nous connaissons. La vie devient de plus en plus difficile, le travail de plus en plus précaire, mais il y a toujours de l’essence à la pompe et les rayons des centres commerciaux sont pleins. Il n’en ira pas toujours ainsi. L’épuisement des ressources naturelles, la détérioration objective des conditions de la croissance, la suppression de fait des acquis sociaux obtenus en un siècle et demi de luttes sociales, aboutiront peu à peu à une prise de conscience qui mettra fin à la « sagesse » – en fait à l’apathie, à l’aliénation du « spectacle » et à la fausse conscience généralisée – dont vous parlez.

    42MAG : Vous avez dans votre jeunesse été très à droite, vous dites désormais n’être ni de droite ni de gauche. Comment avez-vous dépassé ce clivage ? Pourquoi luttez-vous aujourd’hui ?

    ALAIN DE BENOIST. Je n’emploie pas la formule « ni droite ni gauche », qui ne veut pas dire grand-chose. Je dis seulement que le clivage droite-gauche, qui a depuis deux siècles renvoyé aux oppositions les plus différentes, n’a plus guère de sens aujourd’hui. Il devient obsolète. Les notions de droite et de gauche, nées avec la modernité, s’effacent avec elle. Elles ne survivent, péniblement, que dans la sphère étroite du jeu parlementaire, mais tous les sondages montrent qu’elles perdent chaque jour un peu plus de leur clarté. Les grands événements de ces dernières décennies ont fait de nouveaux clivages qui, chez moi, ont stimulé un désir de synthèse. Dans mon livre de mémoires, Mémoire vive, j’explique dans le détail comment je suis parvenu à ce constat que les notions de droite et de gauche ont cessé d’être opérationnelles pour analyser sérieusement le moment historique que nous vivons. Je dis aussi que je me considère plutôt comme un « homme de droite de gauche » ou un « homme de gauche de droite ». Au lecteur de décider par lui-même ce qu’il peut ou doit en tirer !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Simon Bornstein (42 Mag, 16 janvier 2023)

     

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  • Georges Sorel et le mythe de la révolte...

    Les éditions du cerf viennent de publier une biographie intitulée Georges Sorel - Le mythe de la révolte, signée par Arthur Pouliquen. Docteur en science politique, Arthur Pouliquen est spécialiste de l'histoire sociale française et européenne. Son ouvrage vient utilement compléter le numéro de la revue Nouvelle Ecole (n°57, 2008) dont le dossier était intitulé "Georges Sorel et le syndicalisme révolutionnaire"...

     

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    " Georges Sorel est aujourd'hui méconnu. Son influence sur ses contemporains fut pourtant considérable. Au travers du parcours singulier de ce théoricien du syndicalisme révolutionnaire et de la violence politique, Arthur Pouliquen nous fait découvrir un personnage complexe et contradictoire. Étrange personnage que Sorel. Intellectuel, partisan d'une classe ouvrière prométhéenne, théoricien de la violence éloigné de tout combat, révolutionnaire détaché des partis, touche-à-tout passionné de sciences, mais pour autant profondément influencé par une mystique chrétienne...
    Il apparaît bien difficile de lui attribuer un rôle précis dans les grandes luttes du siècle et, plus important encore, d'évaluer la portée de sa pensée. Ébaucher le portrait de Sorel nécessite donc de le replacer dans son temps. Car les évènements historiques des décennies voyant naître le XXe siècle, transforment Sorel autant qu'il tente en retour de les influencer. Certains historiens font de lui le père du syndicalisme révolutionnaire quand d'autres auteurs le considèrent comme un proto-fasciste, un proudhonien conservateur...
    ou comme l'introducteur du marxisme en France. Georges Sorel connaît en effet bien des retournements et fréquente des milieux et des hommes que tout semble opposer. Il existe pourtant une cohérence dans cette vie, dans cette œuvre, dont les principaux enseignements résonnent encore avec force aujourd'hui. Avec une étrange actualité, Sorel pose un regard unique sur certains des grands bouleversements qu'a connu la France, nous éclairant en retour sur notre propre époque. "

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  • Révolution nationale !...

    Les éditions La Nouvelle Librairie viennent de rééditer un essai de Georges Valois intitulé La Révolution nationale. Membre de l'Action française, il a animé avant la première guerre mondiale (1912-1913), avec Edouard Berth, le Cercle Proudhon, inspiré par Georges Sorel. Après 1918, il s'éloigne progressivement de Maurras, et poursuit l'oeuvre du Cercle Proudhon, en fondant Le Faisceau, un mouvement idéologiquement fasciste. Après l'échec de cette tentative et après celle de la création d'un parti républicain syndicaliste, il se rapproche progressivement de la SFIO. A la suite de la défaite de 1940, il s'engage dans la résistance et meurt en déportation en février 1945 à Bergen-Belsen. Quelques-uns de ses essais ont été réédités ces dernières années comme L'homme contre l'argent (Septentrion, 2012), La monarchie et la classe ouvrière (Ars Magna, 2017) ou Le fascisme (Ars Magna, 2018).

     

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    " S’il faut lire Valois, ce n’est pas pour en tirer quelque philosophie abstraite, mais pour se gonfler de l’énergie du combattant. Que le lecteur s’y prépare : il ne tient pas là un ouvrage qui se lit avec la tête, mais avec le cœur. Qu’il vide son esprit de toutes les abstractions que la modernité libérale y a ancrées, qu’il décolonise son imaginaire du matérialisme bourgeois, des droits de l’homme et des mentions légales de son contrat de téléphonie. Contre ce qui est calculable, Valois exalte ce qui n’a pas de prix : la grandeur et l’héroïsme. Valois parle aux hommes des grandes nations. Valois écrit pour une nouvelle élite de combattants.

    Georges Valois (1878-1945), issu d’une lignée paysanne et ouvrière, fut l’une des grandes figures intellectuelles de la première moitié du XXe siècle. Un esprit inclassable qui oscilla entre l’anarchisme, le syndicalisme, le monarchisme et le fascisme, fidèle à sa volonté de dépasser les clivages sociaux, dans une vision organique et corporatiste de la nation. "

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  • Un petit tour du monde de l'actualité...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'actualité récente... Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Mon petit tour du monde des actualités… »

    Il y quelque temps que Boulevard Voltaire n’a pas publié d’entretien avec vous. J’aimerais vous poser des questions rapides sur un certain nombre d’événements récents. Et, d’abord, l’incendie de Notre-Dame de Paris.

    Notre-Dame en flammes, frappée au chœur, c’est l’image même de la chrétienté d’aujourd’hui. Que dire de plus qui n’ait déjà été dit ? Je pense à Dominique Venner et je relis Péguy.

    La fin du « grand débat » et la conférence de presse d’Emmanuel Macron, qui n’a semble-t-il pas convaincu deux Français sur trois ?

    Le chef de l’État a eu tort de prendre les Français pour des mougeons (moitié moutons, moitié pigeons). Micron, démission !

    Le mouvement des gilets jaunes, dont on assure régulièrement qu’il est « en train de s’essouffler » et qu’il donne lieu à des « violences inacceptables » ?

    Un mouvement pacifique et « bon enfant » n’aurait pas obtenu le dixième de ce que les gilets jaunes ont obtenu – même si aucune de leurs revendications essentielles n’a encore été satisfaite. La violence (je ne parle pas de celle des « casseurs » professionnels) est parfois la seule façon de se faire entendre. Le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille n’a pas non plus été une promenade de santé ! Relisez les Réflexions sur la violence de Georges Sorel. Cette violence populaire est, de toute façon, peu de choses comparée à la violence systémique des prédateurs en col blanc, des assassins de l’identité, des destructeurs d’acquis sociaux et des maîtres du profit. Quant à l’essoufflement des gilets jaunes, ce ne sera, dans le meilleur des cas, qu’une pause avant les prochaines batailles. Partout en Europe, les classes moyennes sont en voie de disparition et les peuples n’en finissent plus de subir les conséquences des politiques d’austérité. Dans notre société en forme de sablier, la richesse s’accumule en haut de plus en plus tandis que la pauvreté et la précarité augmentent régulièrement en bas. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on se dirige vers une révolte sociale généralisée.

    Le lanceur d’alerte Julian Assange livré par l’Équateur aux autorités anglaises qui l’ont déjà condamné à un an de prison, tandis que les Américains ont lancé un mandat d’arrêt contre lui ?

    Les États-Unis ont acheté Assange pour 10,2 milliards de dollars de crédits par l’intermédiaire du Fonds monétaire international (FMI). Un pays digne de ce nom aurait immédiatement donné asile au fondateur de WikiLeaks. Comme les autres obligés de la Maison-Blanche, la France s’en est, évidemment, abstenue. Elle a d’autres demandes d’asile à traiter…

    La situation qui se dégrade au Venezuela et la reconnaissance par la « communauté internationale » de Juan Guaidó comme président autoproclamé de ce pays en lieu et place de Nicolás Maduro, pourtant deux fois élu président ?

    Maduro a une belle moustache de révolutionnaire mexicain, mais il est sûr qu’il n’a ni le charisme ni les talents de Hugo Chávez. Cela dit, il est encore plus certain que les États-Unis ont fait et continuent de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour ruiner et surtout contrôler le Venezuela, pays qui dispose des plus importantes réserves d’hydrocarbures de la planète. Toute la question est de savoir si les Américains se lanceront dans une guerre pour imposer le très libéral Juan Guaidó, putschiste en costume trois-pièces qui devrait être depuis longtemps en prison. Emmanuel Macron a conseillé à Maduro de démissionner pour céder aux « pressions de la rue ». Maduro aurait pu lui répondre que, confronté depuis six mois à la colère du peuple français – tout comme le gang Bouteflika à celle du peuple algérien –, il n’a qu’à donner l’exemple lui-même.

    Les nouvelles sanctions économiques décrétées par Donald Trump, non seulement contre Caracas et Moscou, mais aussi La Havane et Téhéran ?

    Ce sont autant d’actes de guerre dirigés contre les sociétés commerciales françaises et européennes qui commerçaient en dollars avec le Venezuela, Cuba ou l’Iran, ou y ont fait des investissements, et qui sont maintenant tenues de s’aligner sur les diktats de Washington au nom de l’invraisemblable principe d’extraterritorialité du droit américain. En matière de politique étrangère, l’unilatéralisme trumpien s’avère chaque jour plus détestable.

    L’interminable feuilleton du Brexit : la Grande-Bretagne va-t-elle, ou non, sortir de l’Europe ?

    De Gaulle avait raison : pour commencer, elle n’aurait jamais dû y entrer.

    Le pape François embarrassé face au scandale des agressions pédophiles commises par des prêtres ?

    Je vais certainement vous surprendre, mais je pense qu’il n’y a pas de problème de pédophilie dans l’Église. Il y a, en revanche, un sérieux problème d’hébéphilie homosexuelle. La pédophilie se définit comme l’attirance sexuelle pour les enfants impubères, garçons ou filles. Or, plus de 80 % des agressions sexuelles mettant en cause des membres du clergé concernent des adolescents pubères, de 12 à 18 ans, et presque exclusivement des garçons. Ce sont des mineurs, pas des enfants. On n’ose pas le dire pour ne pas être taxé d’« homophobie », mais le livre de Frédéric Martel en apporte la confirmation. Dans ces conditions, mettre fin au célibat des prêtres ne favoriserait guère que le mariage gay ! Je rappellerai aussi que, contrairement à ce que l’on croit souvent, les prêtres ne prononcent pas de vœu de chasteté. Ce vœu est réservé aux moines, c’est-à-dire aux membres du clergé régulier (par opposition au clergé séculier).

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 6 mai 2019)

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  • Quoi qu’il se passe, les Gilets jaunes ont déjà gagné !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh Info, dans lequel il évoque la révolte des Gilets jaunes... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Décroissance ou toujours plus ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2018).

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    Alain de Benoist : « Quoi qu’il se passe, les Gilets jaunes ont déjà gagné »

    Breizh-info.com : Tout d’abord, comment analysez-vous les événements de ces derniers week-ends ?

    Ce que je trouve le plus frappant, c’est d’abord la continuité du mouvement. Alors que le gouvernement s’attendait à ce que la pression se relâche, elle ne se relâche pas. C’est le fruit d’une extraordinaire détermination, à laquelle s’ajoute encore une étonnante maturité. Non seulement les Gilets jaunes refusent de se définir en termes de « droite » ou de « gauche », non seulement ils se déterminent sans le moindre souci de ce que pensent les partis et les syndicats, mais ils ne se laissent prendre à aucun piège des journalistes, pour lesquels ils n’ont d’ailleurs que mépris. Sur les plateaux de télévision, ils tiennent des propos de bon sens, ils ne se démontent pas, ils restent d’une fermeté exemplaire sans pour autant apparaître comme des excités.

    Leur colère et leur résolution montrent qu’au point où la plupart d’entre eux sont arrivés, ils estiment n’avoir plus rien à perdre. Et en cela ils représentent parfaitement une France qui, au fil des années, s’est aperçue qu’elle ne parvient plus à vivre, et a même désormais du mal à survivre. D’où ce mouvement de révolte, qui s’est d’abord transformé en soulèvement populaire, puis en insurrection.

    Breizh-info.com : On a beaucoup reproché aux gilets jaunes de faire usage de la violence ?

    Disons-le d’abord d’emblée : le casseur en chef, c’est Emmanuel Macron. C’est lui qui a cassé les corps intermédiaires, déclassé les classes moyennes, rogné sur les acquis sociaux, permis aux revenus du capital de progresser au détriment de ceux du travail, augmenté les taxes et le poids des dépenses contraintes. C’est lui qui a été installé à la place qu’il occupe pour réformer le pays en sorte d’imposer aux « Gaulois réfractaires » les exigences de la logique du capital et les diktats du libéralisme. Le peuple ne s’y trompe pas, qui a immédiatement adopté comme mot d’ordre le slogan « Macron démission ! »

    Les violences enregistrées le 1er décembre, notamment sur les Champs-Élysées, ont surtout été le fait de casseurs et de pillards qui étaient totalement étrangers au mouvement des Gilets jaunes. On l’a bien vu place de l’Étoile quand ces derniers ont protégé la flamme du Soldat inconnu en entonnant la « Marseillaise » tandis que des individus cagoulés se livraient à des déprédations. Alors que la police connaît parfaitement les noms et les adresses de ces casseurs, on les a volontairement  laissés intervenir dans l’espoir de discréditer le mouvement, mais personne n’a été dupe. Si les violences ont été moindres le 8 décembre, c’est tout simplement que la police avait procédé dans ces milieux à des arrestations préventives.

    Cela dit, le vieux lecteur de Georges Sorel que je suis est sans naïveté devant la violence : elle peut en certaines circonstances être justifiée, sous réserve d’une certaine cohérence. Quand un pouvoir est devenu illégitime, l’insurrection est non seulement un droit, mais un devoir. On peut le regretter, mais aucun mouvement historique n’a jamais échappé complètement à la violence. Que je sache, la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, aujourd’hui célébrée comme une journée fondatrice de la République, s’est elle aussi accompagnée de quelques « débordements ». Mais surtout, il faut bien constater que, sans recours à la force, les Gilets jaunes n’auraient jamais rien obtenu. La « Manif pour tous », il y a quelques années, avait rassemblé des foules immenses, qui étaient finalement reparties bredouilles. On ne fait pas la révolution avec des gens bien élevés ! Les pouvoirs publics ont reculé cette fois-ci parce qu’ils ont pris peur. Cette peur se transformera un jour en panique.

    A la veille de la journée de samedi dernier, on a vu tous les représentants de la caste au pouvoir annoncer l’apocalypse pour le lendemain et lancer des « appels au calme » et « à la raison ». C’est une stratégie classique : après avoir diabolisé, condamné, diffamé, jeté de l’huile sur le feu, on essaie de désarmer la contestation en conviant tout le monde à se « réunir autour d’une table », ce qui est évidemment la meilleure façon de tourner en rond. Il est triste à cet égard que l’opposition « de droite » n’ait pas hésité à entonner le même refrain : mais il est vrai que ce n’est pas d’hier que la droite bourgeoise préfère l’injustice au désordre.

    Breizh-info.com : Comment expliquez-vous l’omniprésence des femmes dans le mouvement des gilets jaunes ?

    Quand on ne parvient plus à vivre avec le produit de son travail, ce sont les femmes qui s’aperçoivent les premières qu’il n’y aura plus rien à manger à la fin du mois. La situation des mères célibataires, aujourd’hui de plus en plus nombreuses, est encore plus dramatique. Mais cette omniprésence est éminemment révélatrice. L’une des caractéristiques majeures des grands soulèvement sociaux et populaires, c’est que les femmes y participent et sont même souvent au premier rang. C’est leur façon à elles de réaliser concrètement la parité, autrement que comme l’imaginent les précieuses ridicules qui, à Paris, ne jurent que par la théorie du genre, l’écriture « inclusive » et la lutte contre le « harcèlement ».

    Breizh-info.com : Vous parleriez d’un événement historique ?

    Oui, sans aucun doute. Le soulèvement des gilets jaunes est radicalement différent de tout ce à quoi on a assisté depuis des décennies. Les comparaisons avec le 6 février 1934 sont grotesques, celles avec Mai 68 le sont plus encore. Pasolini, en mai 1968, avait scandalisé ses amis de gauche en déclarant qu’il se sentait plus proche des CRS, qui étaient au moins des prolétaires, que des étudiants, qui n’étaient que des petits-bourgeois. Aujourd’hui, certains membres des forces de l’ordre ont osé fraterniser avec les gilets jaunes, parce qu’ils sont les uns et les autres issus des mêmes classes populaires. A la fin des émeutes de Mai 68, la France profonde avait défilé sur les Champs-Elysées pour dire son désir d’un retour au calme ; aujourd’hui, si elle manifeste de l’Etoile à la Concorde, c’est pour dire à Macron qu’il s’en aille. La nuance est de taille. En fait, pour trouver des précédents au mouvement des gilets jaunes, il faut revenir aux révolutions de 1830 et de 1848, ou à la Commune de 1871, pour ne rien dire des sans-culottes, des Cahiers de doléances et des états-généraux de 1789.

    Ce qui était au départ une simple révolte fiscale s’est très vite transformé en révolte sociale, puis en révolte généralisée contre un système dont le peuple de France ne veut plus entendre parler. Est-ce l’annonce d’une révolution ? Les circonstances pour cela ne sont sans doute pas encore réunies. Mais c’est pour le moins une répétition générale. Pour l’heure, le peuple fait usage de son pouvoir destituant. Il lui reste à réaliser qu’il possède aussi le pouvoir constituant et que ce à quoi il aspire ne pourra se réaliser que lorsque nous aurons changé, non seulement de régime, mais aussi de société. C’est alors qu’il sera temps de parler de VIe République, sinon de Deuxième Révolution française.

    Breizh-info.com : Et maintenant, que va-t-il se passer ?

    Difficile à dire. Macron ne remettra évidemment pas sa démission. Un référendum est plus qu’improbable (on ne sait d’ailleurs pas trop quelle pourrait être la question posée), une dissolution de l’Assemblée nationale risque d’ouvrir la voie à une cohabitation, un changement de Premier ministre (François Bayrou ?) est possible, mais ne résoudrait sans doute pas grand-chose. Le gouvernement a, comme d’habitude, réagi à la fois trop tard et trop maladroitement. Mais le résultat est là. Les élites sont paralysées par la trouille, les commentateurs ne comprennent toujours pas ce qui se passe, le programme de réformes macronien est définitivement compromis, et Macron lui-même, qui se rêvait en Jupiter siégeant sur l’Olympe, se retrouve petit Narcisse flageolant sur sa Roche tarpéienne face à un peuple qu’il dit entendre, mais qu’il n’écoute pas.

    Quoi qu’il se passe, les Gilets jaunes ont déjà gagné. Ils ont gagné parce qu’ils sont parvenus à faire reculer les pouvoirs publics, ce que n’avaient pas réussi à faire les familles bourgeoises hostiles au mariage gay, les adversaires de la GPA, les cheminots, les syndicats, les retraités, les fonctionnaires, les infirmières et les autres. Ils ont gagné parce qu’ils sont parvenus à rendre visible ce qu’on cherchait à rendre invisible : un peuple qui est l’âme de ce pays. Ils ont gagné en montrant qu’ils existent, qu’ils bénéficient du soutien presque unanime de la population, et qu’ils sont bien décidés à préserver leur pouvoir d’achat, mais aussi leur sociabilité propre. Ils ont gagné parce qu’en refusant d’être plus longtemps humiliés et méprisés, ils ont fait la preuve de leur dignité. Au second tour de la dernière élection présidentielle, l’alternative était paraît-il « Macron ou le chaos ». Les gens ont voté Macron, et en prime ils ont eu le chaos. Ce chaos s’étend désormais partout, en France comme ailleurs en Europe. A la merci d’une crise financière mondiale, l’idéologie dominante, responsable de la situation, a désormais son avenir derrière elle. Les temps qui viennent seront terribles.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh Info, 11 décembre 2018)

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